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  • Anne-Laure

De Rabat aux Canaries

Nous quittons le port de Rabat après des formalités de sortie plus poussées que celles d’entrée ! Un douanier zélé fouille nos trousses de toilette et soulève tous les planchers de nos cabines. Je me demande bien ce qu’il cherchait… Une autre s'intéresse de près à la patte d'animal pendue dans le carré, qui dépasse d'un torchon. - Qu'est-ce que c'est ça? - euh... un jambon! Il aurait fallu filmer sa tête!

La sortie par l’oued (le fleuve) est tout aussi belle que l’entrée, avec des pêcheurs sur les digues qui nous lèvent leur pouce et qui nous crient ‘bon voyage’. Nous prenons tout de suite le large pour sortir de la zone de pêche pour la nuit. Ça ne suffira pas. La nuit tombe, et là, des scintillements rouge, blanc ou vert dans tous les sens. Une forêt de perches marquant des filets à la dérive. Et le problème de ces filets c’est qu’entre deux perches, ils sont à la surface tout le long. Donc défi numéro un quand on voit une perche, trouver sa paire. Et si par malheur, on passe sur un filet, éviter les foudres de son propriétaire.


Justement, un semblant de mauvaise conscience nous travaille quelques centaines de mètres après un filet qu’on n’avait pas vu (ouf, rien dans l’hélice !), quand soudain, signaux alarmants droit devant nous, on nous fait certainement signe de nous écarter. La barque que l’on distingue mal nous barre la route, quel que soit le cap que l’on prend. On ne va tout de même pas faire demi-tour et risquer de se faire taper dessus par le précédent ! On avance à petit pas (ben oui mon gros béta, les petits bateaux ont des jambes!) mais la barque nous emmène clairement vers la gauche. A tel point qu’on finit par se retrouver bord à bord avec les pêcheurs. Une conversation bien sympathique s’engage, tout en se faisant gentiment déporter de notre route.


Nous ferons ainsi 1,5 mille (soit environ 3km) avant d’atteindre le bout du filet. Et quand on arrive enfin à la fin du filet : « C’est bon ici, tout droit et vous arriverez à Casa ! – Non non, nous on veut aller là-bas, répond-on en pointant le large avec notre torche. – Mais il n’y a rien là-bas ! – Si, les Canaries ! – Aaah, euh ! bon voyage alors ! bon voyage les gosses ! et attention vous allez croiser un autre pêcheur par là, avec des filets, pareil ! » Ouille aie aie, la nuit va être longue… Et Xavier qui me glisse : mais maman, ils dorment où dans leur bateau ? - elle le sera encore plus eux, mon chéri.


Un petit vent tout doux s’installe vers 22h30. Mais je me retrouve à enrouler le génois pendant mon quart pour éviter un ultime filet…. à 20 mille des côtes… plus d’occasion de le ressortir, le vent est parti se coucher. La journée du lendemain se fera au moteur. Les enfants sont malades, c’est pas drôle. On est consolé par des dauphins, et même un passage tout en majesté de globicéphales.

Tout cela manquait de piment. Le samedi matin, après la 3ème nuit de quart à dérouler, enrouler, virer, se tenir éveillé quoi !, nous sommes installés en cours de français avec un tout petit vent de rien du tout. Il tombe, les voiles faseillent. Allez, les enfants, c’est la récré, on enroule le génois ! Mais là, en voulant rallumer le moteur, la clé tourne dans le contact mais sans effet. Rien, aucune réaction du moteur sauf une lointaine petite alarme. Bon ! La récré sera plus longue que prévue, elle durera une 30aine d’heures.


30 longues heures où il n’y aura pas de vent, ou à peine, ou alors pile dans le nez.

30 heures où la problématique de l’énergie à bord se pose : pas de moteur*, ciel gris donc les panneaux ne travaillent pas, les batteries ne se rechargent plus, donc il faut consommer moins, et cela commence par… se priver des services de Jap’ le pilote qui est très gourmand en électricité !

Donc 30 heures à se relayer à la barre, et la nuit, dans la pétole, c’est dur !


30 heures où on passe par le découragement, l’espoir, l’agacement, les pensées rassurantes « on aurait pu péter le safran, ça c’est rien ! ».

30 heures où chacun s’attèle à arranger les choses : Momo au réglage des voiles pour éviter de reculer et tenter d’attraper la moindre risée et garder un cap un semblant correct, et Anne-Laure tel un chirurgien mais avec son voltmètre, qui se balade dans le circuit électrique pour essayer d’y comprendre quelque chose. Et les enfants ? ah là, les enfants, il va falloir vous passer des parents. Et si possible prendre même un peu la relève à la barre au moins en journée. Et ils ont été largement à la hauteur, bravo pour leur patience, leur créativité (les dessins de ces heures là sont géniaux), leur aide à la barre et en cuisine. Bravo !


30 heures où l’on touche du doigt justement ce qui peut faire peur, ne plus maîtriser totalement la suite des évènements, ce qui nous entoure. Les machines nous ont lâchés, nous n’avons plus d’autre choix que de nous en remettre à la Nature, soit à Dieu. Une nouvelle perspective sur notre quotidien, on se sent soudain tout petits. Pas faibles, non, libres et forts de ce que Dieu nous donne.

Et dans ces turpitudes, toujours de l’espoir. Je me plais à croire qu’Il nous a envoyé ces 3 petits passagers clandestins qui feront la joie de cette traversée, 3 petits oiseaux tous petits tous mignons que les enfants arriveront même à caresser.


Tiens, c’est marrant, on avait embarqué le « Martine et les moineaux ! »












Nous sommes récompensés de notre patience et persévérance le dimanche, une énième tentative de solution, je tourne la clé, et vroum vroum vroum le moteur est reparti ! Les enfants sortent dans un éclat de joie, embrassades, sauts, félicitations mutuelles, et Momo, qui nous glisse tout de même dans un soupir « pffff, on commençait justement à toucher un peu de vent !»

Effectivement le dilemme se pose : on est des marins ou on ne l’est pas ?! il est hors de question de couper le moteur car mon branchement ne tient qu’à un fil – c’est le cas de le dire ! – et on a le vent dans le nez. Et puis maman nous attend depuis vendredi aux Canaries. Bon, on met les gaz, il faut qu’on trace. Et hop là, en un rien de temps, nous avions replongé dans le monde des machines et du contrôle absolu de notre emploi du temps… marins peut-être pas encore tout à fait, mais humains, oui.


* Sans moteur, le soleil est crucial pour recharger nos batteries via nos panneaux photovoltaïques.

 

Petit débrief avec les enfants :

Maman : On arrive aux Canaries. On est partis de Rabat il y a 4 jours. Qu’est-ce que vous pouvez me raconter de ces derniers jours ?

Aurore : le temps nous a paru très long, car c’était pétole, les voile faisaient tchac tchac dans tous les sens.

Xavier : on ne pouvait pas affaler parce que le moteur ne marchait plus. [eh oui, car ensuite, se remettre face au vent pour renvoyer la grand-voile, sans moteur… tâche épineuse !]

Maxime : juste au moment où on a perdu le moteur, il n’y avait plus de vent.

Maxime : Et aussi, je trouvais qu’il y avait beaucoup de filets à Rabat. On s’en est pris un et l’hameçon de Xavier est resté dedans. Il y avait des grandes boules jaunes, et après un petit filet avec dessus des petites boules jaunes. [on reconnaît bien là notre Maxime-toujours-un-temps-de-retard]

Aurore : longs de 3km !

X : A Rabat, comme on est en Océan Atlantique, il y avait des marées.

A : on a même vu des très très grosses vagues à l’entrée du port de Rabat.

A : On a vu des globicéphales noirs, j’ai trouvé ça incroyable

M : on a aussi vu des tas de dauphins.



Maman : Est-ce que ça a changé quelque chose de ne plus avoir de moteur ?

Xavier : beaucoup, on entendait tchac tchac alors que maintenant on entend vroum.

Maman : Tu préfères le bruit du moteur ? – X : oui

Aurore : non, ca ne changeait pas grand-chose, c’était juste plus dur d’éviter les cargos. Et puis, ça abimait beaucoup les voiles qu’elles bougent dans tous les sens.


Maman : et si on n’avait pas réussi à réparer le moteur ?

A : on serait arrivé dans 6j si il n’y avait pas eu de vent, et 3j si il y avait eu du vent. J’aurais peut-être eu envie de rentrer en France. Naan je rigole !

X : on serait coincé, on mettrait le pavillon « à l’aide » pour qu’un bateau nous vienne en aide. J’aurai appelé les secours. J’aime pas être coincé dans la mer. - pourquoi ? - parce que si un moment on a plus de céréales, plus de provisions, plus d’eau ! tu imagines ?!

A : bah, on aurait quand même pu manger parce que maman a pris 2 tonnes de pâtes.

X : ah oui, on aurait pu pêcher aussi !


Maman : Est-ce qu’on s’habitue à la vie en bateau ?

Oui unanime

X : heureusement quand on va au port, ca change un peu de la vie du bord. Du coup on oublie un peu la vie en mer.

A : chacun avance à son rythme, mais le plus important c’est de ranger

M : On s’habitue plus à la terre que à la mer. Moi je préfère quand on est au port, parce qu’en navigation on a mal coeur


Maman : quel a été votre moment préféré depuis le départ de Rabat ?

M : quand on a vu les grosses vagues, et quand on a pris le tramway.

Sinon c’était quand maman a réparé le moteur, et le 2eme moment préféré c’était le 2ème jour quand j’ai plus eu mal au cœur.

X : quand on a vu les globicéphales et quand on a vu les dauphins

A : pareil que Xavier


Maman : et votre pire moment ?

X : quand le moteur s’est arrêté

A : quand on devait tous barrer parce que le pilote utilisait trop d’énergie. J’aime barrer mais là, c’était trop tout le temps.


Maman : autre chose que vous voudriez rajouter ?

- Maman, on peut prendre le goûter ?

 

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