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Anne-Laure

D'une escale impromptue à Boa Vista

Je dois vous l'avouer, je suis é p u i s é e... je ne sais même pas si c'est ce qui m'attend qui me fatigue d'avance ou bien ces derniers jours...

On vient de passer 72h intenses entre Dakar et le Cap Vert.


D'abord, on allait partir, quand on réalise qu'on a oublié de faire les formalités de sortie. Darre darre alors que Momo pliait l'annexe, je file faire tamponner les passeports.

On part déjà trop tard à mon goût, 14h. A la nuit tombée, notre pilote automatique nous lâche...à nouveau..

.. et tout le monde est déjà malade à bord, y compris nos amis Pierre et Ayesha.

Notre toute nouvelle acquisition, Jules le Regul (-ateur d'allure) devrait nous aider mais on n'arrive pas à le régler correctement, il fait nuit noire et il va falloir barrer toute la nav... premier coup de massue. Je suis déjà crevée.


Momo me requinque en m'assurant qu'on va y arriver et me dit qu'il va faire les quarts toute la nuit par tranche de siestes de 15mn. Je ne peux m'y résigner, je dors dehors à côté de lui au cas où.

La météo nous donne des conditions vraiment pas sympas du tout, on est au bon plein (ie pas l'allure la plus confortable du tout) vagues de travers, avec une mer très très désordonnée.

Momo se débrouille finalement la première nuit sans moi, il a réglé les voiles et posé deux élastiques sur la barre qui font office de pilote et il ne barre pas. Ouf!

Moi je passe la nuit avec les enfants à tendre des bassines par ci par là.


On finit par trouver les bons réglages du régulateur d'allure le lendemain avant la nuit, la météo n'a pas changé, les enfants sont toujours aussi malades, les amis au fond du gouffre. On se nourrit comme on peut avec ce qui a été cuisiné à l'avance, et encore....


Je ne suis pas malade, mais je ne peux rien avaler. Je me force à grignoter. On reprend des quarts de chacun 3h la deuxième nuit, chaque réveil est duuuur. La mer est mauvaise, on ne voit rien de rien donc on se laisse surprendre par de grands coups de côté ou de gros départ au lof sur une vague. Heureusement Jules travaille pas trop mal.

Parenthèse, finalement, heureusement que Jap le pilote nous fait défaut car sinon, on n'aurait jamais pris le temps de se pencher sur les réglages de Jules!

Voilà 48h que nous sommes partis, et Augustin et Xavier n'ont rien conservé de ce qu'ils avaient mangé ou bu depuis le début. Les autres avaient juste une compote de pomme d'avance.. Je fais des pâtes au ketchup en espérant que ça ne soit pas refusé. Ça passe, sauf pour Augustin... il demande à boire tout le temps, mais rend ses gorgées dans la bassine 10mn plus tard. Il s'affaiblit, ne veut plus quitter le lit.. la nav est toujours la même, bateau gîté à 45 degrés, vagues qui mouillent et tapent par le côté..


Je me résous à sortir le téléphone satellite pour appeler le Centre de Consultation Médical des Marins, le CCMM. Je commence par "il n'y a pas d'urgence mais j'aimerais juste avoir un avis médical sur une possible déshydratation." La médecin me donne la procédure à suivre pour le réhydrater lentement en évitant qu'il vomisse. Je me mets à vivre au rythme de mon minuteur de cuisine: toutes les 20mn, 2 cuillerées d'eau sucrée. Et résister quand il demande de l'eau entre deux prises, le plus dur.... "oui mon chéri je t'apporte de l'eau, juste après la manoeuvre ! "


On se regarde un bon vieux Sissi Impératrice tous les enfants et moi histoire de passer le temps. Leur moral remonte, on le savait déjà, ca prend 48h pile poil. Mais pas Augustin qui est de plus en plus amorphe. Malgré les efforts, il rejette cette eau durement avalée en trois prises. Je rappelle le CCMM qui m'avait donné RV. Il faut me voir assise avec l'antenne du téléphone satellite pointée vers le ciel "dans un endroit dégagé " donc juste sur la route de la vague qui peut l'arroser! Je demande:

- Bon, quand est ce que ou à quel symptôme je dois m'inquiéter ?

- Ah mais nous on est déjà super inquiets, d'ailleurs j'ai déjà prévenu le CROSS, on est en train de voir comment on peut vous évacuer.

- ....?!!!


Je ne nous vois pas du tout du tout évacuer, là, dans ces conditions... plus risqué que ce qu'Augustin est en train de traverser, même... Je garantis au médecin que je vais m'accrocher à la procédure de réhydratation. Il nous faut cependant gagner rapidement la terre. On est à 75nM (soit environ 120km). Là s'enclenche une série de coups de fils (satellite toujours ! dire qu'on hésitait à en avoir un... merci Dr Delire du stage médical!) avec le CROSS Gris Nez (qui s'occupe de la coordination des sauvetages des ressortissants français à l'étranger). Ils nous recommandent d'aller à Boa Vista car "pas d'hôpital à Sal" (??). Ils s'occuperont de prévenir les autorités pour notre prise en charge.


On bifurque donc de notre route sur Sal et on essaye d'accélérer vers Boa Vista. On a encore 10-11h de route. On se partage le temps de quart/sommeil comme on peut. Arrivés à qq milles du mouillage de Boa Vista (pas de port dans ces îles ) on entend soudain plusieurs appels "IA ORANA" à la VHF. On répond, les gars du 'port' nous guettaient! On demande un pilote pour nous aider à atteindre le mouillage de nuit sans se prendre les patates (ie. les rochers à fleur d'eau) parsemées partout. Hum, je ne savais pas à ce moment là que les gars du 'port' (en fait LE gars) avaient à peine une VHF...

Je rappelle le CROSS comme convenu. Et là ils me disent: "On a essayé de vous joindre toute la nuit (non c'est sûr je ne reste pas toute la nuit le tel sat pointé dehors vers le ciel!) car le consulat recommande plutôt l'île de Sal. Les équipements médicaux à Boa Vista sont très sommaire." Hum... il est 4h du mat, on aurait pu être à Sal à cette heure-ci si vous ne nous aviez pas fait bifurquer... trop tard, ici on nous attend déjà, là bas ça veut dire re-8h de mer vent dans le nez, non merci! Le CROSS m'"impose" (sic) alors au moins une re-consultation avec le CCMM. Ok. Moi je suis confiante sur Boa Vista et surtout, Titin a conservé toutes ses gorgées bues dans les 8 dernières heures, je sens qu'il va mieux!


Un pêcheur vient à notre rencontre, - le "pilote"! - nous indique le mouillage et récupère Augustin et sa maman. Tintin pète la forme et parle à tue-tête, il est 4h du mat. Un camion de pompier nous attend à terre, et nous emmène au dispensaire. On est pris en charge tout de suite, Titin est mis sous perf de glucose, c'est un peu brusque mais on va s'endormir en 2-2 tous les deux... Ils parlent tous français, la police, les pompiers, les infirmiers...

La veille, avant de prendre mes quarts, j'avais fait comme avant d'accoucher, un petit sac d'hôpital. Trop bien fait! On est tous les deux contents d'avoir un oreiller et une couverture du bateau! Augustin s'endort inquiet, je lui tiens sa petite main.

Au petit matin, un médecin parlant excellemment bien le français retire la perfusion et me dit qu'il nous laisse partir à la seule condition, c'est qu'on ne retourne pas sur le bateau pendant 3 jours, haha! Allez Titin, un petit séjour tous les deux en amoureux à Sal Rei, ils vont être contents à bord d'entendre ça! Ce même médecin me parle aussi d'une famille française avec 3 enfants qui ont séjourné dans ce même hôpital il y a 2 mois... mais, mais... bien sûr, c'est Sea You! Une famille que nous avions rencontrée lors de notre stage médical, dont nous suivons le blog et la trace, et qui avaient effectivement eu une intox alimentaire généralisée et pas drôle sur cette même île! (cf leur article ici) Eux y ont passé 3 jours et 2 nuits, je l'ai échappé belle!


On est dimanche, je sors des urgences, et je découvre le paysage paradisiaque de notre escale. Sable blanc, eau turquoise, des kites, des planches, des maisons colorées partout. C'est trop beau mais l'appel de la maison reprend le dessus. On communique par VHF avec le bateau, ils ne peuvent pas venir me chercher car l'annexe est rangée pliée au fond de la soute à voile. Et là, incroyable, Nadir, cet homme bienveillant qui a veillé toute la nuit pour nous guetter, qui nous a appelé à la VHF, qui nous a envoyé le pêcheur-pilote et organisé la transport en pleine nuit, lui-même est là pour venir nous raccompagner au bateau. Le dilemme est vite réglé, je saute sur cette occase de ne pas à avoir à y aller à la nage. Le week-end paradisiaque, Titin, on se le fera!


Nous décidons de reprendre la navigation le lendemain vers Mindelo, histoire de se faire une vraie nuit. Eh oui, les programmes.... Pierre et Ayesha ont RV avec un oncle et tante. Et il y le dernier jour du carnaval à ne pas rater!

Il ne reste que 24h de nav et le grand défi, c'est que Titin ne vomisse pas. On y est parvenu, mais au prix d'un effort incommensurable de son papa pour le distraire et lui faire oublier son mal de mer.... c'est un effort de chaque instant, qui a payé. Mais ça réclame un adulte à plein temps, qui pendant ce temps-là, ne peut ni s'occuper de la navigation ni des autres enfants...


Tout ceci est trop récent et brûlant pour vous dire comment on pense faire pour la suite. En attendant, relax, c'est carrrrrrnavAL!




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