Un mois épicé à Grenade
Nous quittons Grenade ce 3 janvier 2018. Nous voulions passer Noël et le Nouvel An à Carriacou, mais la météo en a voulu autrement. Entre chantier-bricolage et mauvais temps, en un mois, nous n’avons finalement rien vu de cette île paraît-il magnifique. Mais on en gardera finalement des tas d’anecdotes et de rencontres !
Kick em Jenny. Sur la route entre Carriacou et Grenade, il y a Kick em Jenny, un volcan submergé en activité, dont le sommet arrive à environ 200m sous le niveau de la mer. Il y a bien une mention sur la carte, avec une zone d’exclusion « red alert », mais lors de notre descente, à l’œil nu, pas de drôles de bulles à la surface, d’autres bateaux nous devancent, on ne se pose pas la question, on passe en plein dessus. Arrivés à bon port, on en discute sur les pontons et j’apprends que ce volcan dégage en permanence des bulles de gaz qui, à haute concentration, provoquent une baisse de la densité de l’eau et donc de la flottabilité des navires. On peut donc tout simplement couler d’une traite !
Penn Gwen. On avait quitté nos amis de Penn Gwen à Dakar en février dernier. Ils sont passés par le Brésil et remontent à présent l’arc antillais. On les a retrouvés à St Georges, la capitale de Grenade, pour 36h intenses à se raconter tous ces mois de voyage différents. Ils ont emmenés nos 3 plus grands visiter un domaine où l’on cultive le cacao, visite de la « chocolaterie » que les enfants vous racontent ici. (cliquer pour suivre le lien)
Epices. Grenade est aussi désignée comme "l’île aux épices". Elle fut longtemps le 2ème producteur de noix de muscade (miam !) au monde après l’Indonésie, mais en 2004, l’ouragan Ivan a détruit près de 60% de sa capacité de production. La noix de muscade que nous râpons allégrement dans beaucoup de nos plats sucrés comme salés, pousse sur le muscadier et est en fait enveloppée dans 4 couches : d’abord le fruit, qui ressemble un peu à un abricot vert-jaune ; à maturité il s’ouvre sur l’arbre et laisse apparaître une coque recouverte d’une membrane rouge, le macis, qui s’utilise dans l’assaisonnement du poisson. Sous le macis, une coque qui se casse pour enfin atteindre la fameuse muscade telle qu’on la connaît. C’est aussi ici que je découvre avec plaisir le curcuma frais, à râper dans ses plats ! En avez-vous déjà vu ? Car moi, toutes ces épices, je n’avais aucune idée de leur état ‘naturel’. Même la tête d’une plante de gingembre, je n’avais jamais vu !
Nous sommes donc allés visiter « Laura’s Spice Garden » pour enfin voir tout ça. Visite géniale que je recommande – même s’il faut quelques bus et marcher un peu pour y arriver !
St Georges. Capitale de Grenade, nous nous sommes offerts deux nuits au ponton du Yacht Club de St Georges (super plan - bien moins cher que la Marina Port Louis). Il paraît que c’est la plus belle capitale des Antilles, et effectivement, vue de la mer, très attrayante, on a envie d’aller se perdre dans ses ruelles aux maisons colorées. Construite autour d’un port naturel qu’ils appellent ‘Carenage’, nous nous sommes promenés dans ce dédale jusqu’au sommet de la colline : de maisons en églises dont il ne reste que les façades, à chaque coin de rue, la ville nous envoyait un petit rappel des ravages de l’ouragan Ivan (2004) qui n’ont jamais pu être totalement effacés. Tant de bâtiments ne tenant qu’à un fil ; des écriteaux demandant des dons pour la reconstruction ; un sujet de conversation récurrent chez les locaux. En 13 ans, le pays ne s’en est toujours pas complètement remis. Ça laisse soucieux pour la Dominique… Malgré une petite sensation de tristesse devant ces ruines, la ville nous a charmés.
Fontaine Wallace. Arrivés à St Georges, je suis allée voir l’Alliance Française pour leur demander une salle au calme avec le wifi pour les besoins du boulot. Mon regard a été attiré par trois cariatides d’une finesse magnifique trônant au milieu du jardin. Je me suis renseignée, et c’est effectivement un petit monument historique de l’île : c’est une fontaine Wallace. Cherchez bien, il y en a plein à Paris. Celle-ci était originellement au centre de la place du marché de St Georges. Mais durant des travaux urbains, elle se retrouva à la poubelle. Un notable local, connaisseur, la récupéra et la confia à l’Alliance Française, où elle orne le jardin. Malheureusement, Ivan, encore lui, ne l’a pas épargnée. Elle a été partiellement restaurée depuis. Et il est question qu’elle retrouve sa place sur la place du grand marché au cœur de la ville. Pour ceux qui veulent en savoir plus, cliquez ici.
Hog Island. Tout au sud de Grenade, au milieu de tous ces doigts de terre qui s’enfoncent dans la mer en laissant dépasser quelques griffes-écueils, il y a le mouillage de Hog Island. Une sorte de ‘retirement zone’ où sont installés une multitude de retraités posés là depuis des années. Surtout des anglo-saxons, qui ont déjà "bouclé la boucle" pour la plupart, et qui ont fini par trouver ici une communauté qui leur ressemble, et qui est étonnante de solidarité. C’est un monde à lui tout seul. On y a rencontré des tas de gens avec des histoires individuelles passionnantes. Beaucoup d'entre eux ont élevé des enfants en bateau, et s'émerveillent devant les nôtres - car il n'y en a plus sur le mouillage, les leurs sont déjà grands - en nous confortant sur ce que l'on fait avec les nôtres. Je repense à Lili Maid, ce vieux gréement spendide de 1904, qui est depuis 40 ans le foyer d'une famille britannique qui a eu 4 enfants, l'un en Angleterre, l'autre en Australie, puis un en Afrique du Sud et enfin le dernier, 18 ans, toujours à bord, né à Trinidad. Quand on leur demande, à eux comme à d'autres, ce que deviennent leurs enfants aujourd'hui, c'est réconfortant d'entendre qu'ils sont tous normaux, équilibrés, mariés, travailleurs, et surtout que les liens familiaux des fratries et avec les parents sont hyper forts.
Hog Island est une réserve naturelle. Malheureusement, pas de snorkeling possible tant l’eau est verte et trouble. Une petite plageounette permet d’accoster sur l’île essentiellement faite de mangrove. Là on y trouve quelques barbecues et tables de pique-nique avec les plaisanciers habitués qui viennent tous les jours à la même heure avec leurs glacières. Nous en profiterons pour nous faire des langoustes grillées, avec les autres bato-copains, miam miam! Il y a aussi le mythique Roger, un type avec un flegme comme j’en ai rarement croisé, qui a monté sa petite cabane en bambou et toit de palmes, le Roger's Barefoot Bar, et qui vient tous les jours avec son petit boat et des immenses glacières pleines pour servir la flopée de ‘cruisers’ qui ont besoin de mettre pied à terre et sociabiliser. Le dimanche en particulier, c’est soir de fête chez Roger. Ca tombe bien, le 24 et le 31 décembre tombent un dimanche ! Fêtes mémorables toutes en musique, danse et discussions de vieux loups de mer!
Il y a un bon lot d’alcooliques dans la troupe, notamment une sacrée Danoise que l’on a vu littéralement r a m p e r dans le sable jusqu’à son annexe.
J'en parlais plus haut, la communauté s'est organisée un réseau ultra efficace et solidaire. Tous les matins à 7:30, canal 66, il y a le 'net', un moment de radio où chacun passe ses petites annonces: j'échange, je vends, j'ai besoin d'un coup de main, quelqu'un peut-il me déposer... Il y a notamment Fast Maniku, un type qui a tout compris! Il propose de vous livrer directement à bord tout ce qui pèse lourd: lait, sodas, vin, rhum, eau, bouteilles de gaz, tout ça même moins cher qu'en supermarché! Comment est-ce qu'un tel business ne s'est pas développé au Marin par exemple?!
Chantier. On a profité de ce bel endroit à proximité de grands chantiers pour changer notre parc de batteries de service. Une semaine intense avec tous les planchers du bateau soulevés pendant que les enfants jouaient à la plage. Pour fêter la fin du chantier, et un retour de l'énergie presque illimitée à bord, on a pu enfin mettre en place les décos de Noël, crèche, guirlande, sapin 100% recyclé et une magnifique guirlande illuminée dans le mât.
Kayakat et Padelou. Cela faisait 6 mois que nous cherchions un kayak d’occasion pour les enfants. On s’était aperçu que cela donnait une grande autonomie aux enfants, qui pouvaient aller à la plage tout seul, sans attendre la fin de la sieste d’Augustin ou le retour de l’annexe partie faire des courses. C’est finalement à Grenade que nous finissons par le trouver en frappant à tout hasard à la porte d’une société de charter (il y a toujours un ou deux kayaks sur leurs bateaux). A ma demande, ça a fait tilt auprès du responsable qui en avait un, laissé pour compte sur un toit, en attente de réparation depuis des mois. Pas d’hésitation, l’affaire est bonne et la réparation est faisable. Mais nous étions déjà à Hog Island, et je me voyais mal l’embarquer dans le mini bus qui me ramènerait à notre baie de mouillage ! Nous étions tellement motivés que nous sommes revenus avec ia orana le récupérer ! Et qui croise-t-on lors de notre nuit à St Georges ? Aldébaran, nos copains de Carriacou qui nous disent qu’ils ont récupéré une vieille planche à voile (planche seule) pour nous ! Nous sommes donc repartis de St Georges bien chargés derrière le bateau, et les enfants aux anges ! Merci maman pour le kayak Padelou et merci Aldébaran pour la planche Kayakat !
Free bottle(s). Le rhum du coin qui nous sert aux apéros vient du Westerhall Estate. Lors de nos premières courses à St Georges avec Ben du bateau Dominao, nous prenons chacun une bouteille dans notre caddie. Arrive une employée du supermarché pour nous montrer qu’il y a un jeu à gratter sur la bouteille. Au grattage apparaît la mention « Free Bottle » sur chacune des 2 bouteilles. L’employée est aussi excitée que nous ! Elle part s’enquérir pour notre gain et revient avec l’adresse de la rhumerie où nous pourrons récupérer nos free bottles. Ah oui… faut le mériter ce prix ! Quelques jours plus tard, on s’organise avec Ben une sortie avec les enfants sur l’île, dont la première étape sera la rhumerie. On part donc un matin, Ben, moi, les 4 enfants de ia orana et les 2 de Dominao, Noanne (6 ans) et Titouan (4 ans). Précision : Ben, qui est de passage sur Dominao, est un copain de Yann et Pauline, les parents de Noanne et Titouan. Très vite aux différents arrêts de bus (il en faut 2 pour arriver à Westerhall) les gens nous demandent si ces 6 enfants sont les nôtres. Oui bien entendu ! Aurore l’ainée, puis les triplés Xavier, Maxime et Noanne, et enfin les jumeaux, Augustin et Titouan. Ben se plaît à expliquer qu’ « on va s’arrêter là quand même, car on risquerait les quadruplés sur la prochaine fournée. » Rires. Super journée où l’on sera monté dans 6 bus différents, visite de la rhumerie, du Spice Garden (cf plus haut) et déjeuner de ‘chicken roti’, le snack local !
Mais l’histoire des free bottles ne s’arrête pas là ! Les réserves s’épuisant, on rachète du rhum. Et de nouveau des free bottles : Dominao en a une, nous 2. Ben fait la mission Westerhall tout seul, apporte les bouteilles vides pour en récupérer des pleines, gratte les nouvelles bouteilles, et… et… 2 free bottles de nouveau ! Mais là, ça ne fait pas du tout rire la nana de Westerhall qui répond impassible à Ben qu’elle a besoin des bouteilles vides pour donner les bouteilles gratuites. Ben se creuse la tête – heureusement pas le gosier !! – et part à la recherche d’un récipient, qu’il trouve heureusement auprès d’un ouvrier de la rhumerie. Il revient tout sourire avec les bouteilles vides, et repart donc de Westerhall avec 5L de rhum gratuits ! On a fait les comptes finaux, à nos 2 bateaux, nous aurons eu 7 bouteilles gagnantes sur 14 !
Musique. Après des journées bien remplies, nous avons trouvé un grand plaisir à nous retrouver sur la plage en fin de journée avec nos instruments et d’autres voyageurs musiciens ; il y a bien entendu Yann de Dominao et son accordéon qui fascine depuis longtemps Augustin ! Pauline chante parfois accompagnée de sa guitare, ou bien accepte de la prêter à Momo. Ben alias Groben, que nous avions connu au Cap-Vert, qui a rejoint Dominao à Grenade et qui n’a pas oublié d’embarquer son saxo. Puis Hélène et David sur Akka qui jouent respectivement du violon et de la guitare. Et enfin nous avec toutes nos percussions diverses qui permettent aux enfants de participer, et le mélodica, mon petit substitut de piano à bord. Sessions musicales improvisées de folie !
Nous avons aussi bien sympathisé avec Stan et Cora, le couple qui anime les dimanches soirs au Roger’s Barefoot Bar. Lui, tchèque, Zdenek de son vrai prénom, est au piano et au chant, Cora, allemande, est au saxo ; ils ont la soixantaine, ont fait le tour du monde avant de se poser ici et vivent de leur musique depuis 30 ans. Juste avant de partir, nous sommes allés visiter leur bateau, un magnifique navire des sauveteurs en mer britanniques construit il y a 100 ans. Et là, sur la banquette à instrument (eh oui, il leur faut presque une cabine entière !), un accordéon en recherche d’un repreneur. Stan nous dit qu’il est trop lourd pour lui. Ni une ni deux, l’accordéon avait trouvé une nouvelle famille. Fallait voir le sourire d’Augustin quand on l’a rapporté sur le bateau !
Tiggy. Après notre mouillage dans la baie de Hog Island, nous sommes allés nous mettre juste de l’autre côté de l’île dans la baie de Clarks Court. On sympathise avec Andrzej, un polonais sexagénaire qui voyage en solitaire sur son ravissant petit bateau tout en bois des années 50, Tiggy. Andrzej fait de l’asthme. Un samedi, il me prévient qu’il part à l’hôpital car il a du mal à respirer. Ce soir-là, nous avons de très grosses rafales au mouillage. Nous surveillons son bateau. Vers 18h30, on s’aperçoit que Tiggy part à la côte, dont il était déjà proche. Sa chaîne a cassé net! Il pleut des trombes. Pendant que Momo prépare ce qu’il va embarquer dans l’annexe, je me précipite sur la VHF, et appelle les bateaux voisins qui sont tous en veille sur le 68, canal connu de tous les cruisers à Grenade. Ce qui est incroyable c’est que toutes les marinas, les chantiers et les bars de marins de la côte sont aussi en veille sur le 68. Andrzej m’entend depuis le Nimrod’s – bar où l’on attend le bus, ou bien en l’occurrence, que la pluie se calme – et me dit qu’il saute dans son annexe, qu’il arrive. Entre temps, Paul, un autre voisin, est arrivé sur les lieux avec son annexe 15CV, sort Tiggy de la vase, et tracte tant bien que mal Tiggy dans les rafales. En moins de 5mn, le bateau dérive droit sur nous, à peine contrôlé par l’annexe de Paul. Momo dans l’annexe s’interpose entre nos deux bateaux pour limiter les dégâts, et les enfants réagissent du mieux qu’ils peuvent à mes demandes de parre-battages et de besoin d’amarres. Choc, au ralenti, heureusement sans grand dégât. C’est donc sous une pluie battante que nous amarrons Tiggy à couple. Je rajoute 20m de chaîne histoire qu’on ne se retrouve pas 2 bateaux à la dérive.
Pour se remettre de ces émotions, après avoir enfilé des vêtements secs, on accueille Andrzej dans le cockpit avec une tasse de thé chaud (il m’avait dit à Noël qu’il ne buvait pas d’alcool) et nous, nous nous servons un petit rhum. Tiens donc ! Andrzej tend le bras et récupère mon verre ! Il sirote son petit ti-punch-passion - notre apéro préféré – en nous disant que cela fait 20 ans qu’il n’a pas bu d’alcool fort. Il fallait bien se remettre de tant d'émotions... Et durant les 3 jours à couple, il ne s’en privera pas !
Tant de gens sont venus nous voir le lendemain, nous demander des nouvelles, nous remercier, nous proposer de l'aide pour retrouver l'ancre de Tiggy etc... Incroyable solidarité des marins. Bryan, un jeune américain solitaire sur Tarka, qui été venu en aide, nous a même apporté une bouteille de champagne! Il raconte l'histoire sur son blog (cliquer pour suivre le lien).
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